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Ouagadougou, une capitale au luxe obscène

SOURCE : COURRIER INTERNATIONAL, hebdo 827 du 7 septembre 2006. A consulter au CDI du Lycée
• Ouagadougou, une capitale au luxe obscène
Dans le quartier Ouaga 2000, l’élite du pays étale sans retenue ses nouvelles richesses. Alors qu’à quelques mètres de là, des enfants meurent faute de nourriture et de médicaments.
Il semble que Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, soit l’une des rares villes de l’Afrique subsaharienne à s’embellir. Les rues des grands axes sont très propres, les nouveaux bâtiments s’alignent et la réfection des anciens bâtiments, surtout des ministères, se poursuit.
Une nouvelle banque du sang a été érigée, mais, si vous avez besoin de sang pour un proche, mieux vaut y aller avec quelques amis qui veulent donner leur sang. Un magnifique bâtiment pour le secrétariat de la lutte contre le sida, mais pas de gratuité pour les médicaments des sidéens. Il est question aussi – c’est le président Blaise Compaoré lui-même qui en a parlé – d’un nouvel aéroport, comme par hasard à Ziniaré*. Pourquoi ? L’aéroport de Ouagadougou n’a même pas cinquante vols par semaine, un peu moins que Schiphol, l’aéroport d’Amsterdam, par heure. Mais pas d’argent pour diminuer la taxe sur le carburant, pour lutter contre la flambée de son prix, qui affecte tous les citoyens sauf le pauvre, qui n’a même pas une lampe-tempête.
Si vous allez à Ouaga 2000, c’est encore mieux ou peut-être pire. Je ne connais aux Pays-Bas aucun site aussi somptueux que Ouaga 2000. Là-bas, il y a aussi des bâtiments somptueux, mais regroupés comme à Ouaga 2000, certainement pas. Une salle de concert digne de Vienne, un monument des martyrs et, ailleurs à Ouaga, un monument des héros, tous les deux plus grands et plus somptueux que ce que je connais aux Pays-Bas. Les agriculteurs tirent le diable par la queue, mais le nouveau ministère chargé de l’Agriculture à Ouaga 2000 va certainement les tirer de leur misère une fois que ce bâtiment aura été payé : un petit, pardon, un grand bijou ! Je ne parle pas des villas ni des châteaux privés que certains salariés habitent mais qu’ils peuvent difficilement payer avec des salaires burkinabés. Un nouveau palais de justice, une Cour de cassation. Un complexe libyen avec un hôtel où tu paies plus pour une bouteille de Fanta que ce que gagne un cireur de chaussures par jour.
Egalement une nouvelle présidence. Une présidence au centre-ville, un petit palais privé à Ziniaré, un pied-à-terre à Bobo-Dioulasso [la ville la plus importante après Ouagadougou], etc., ne suffisent pas au président alors que plus de 40 % de ses compatriotes vivent dans des habitations insalubres.
J’ai été avec des amis européens à Ouaga 2000. Je leur ai montré quelques châteaux appartenant à des particuliers. Ils ne voulaient pas me croire. Nous nous sommes approchés d’un “château” et j’ai demandé si M. Nasré était à la maison. Non, me répondit-on, vous devez vous tromper, ici c’est l’habitation de M. Kaboré (nom fictif). Mes amis n’en croyaient pas leurs oreilles.
Je suis content que Ouaga soit une ville propre. Honneur au maire, Simon Compaoré. Je suis content que Ouaga soit une belle ville et qu’elle ait des infrastructures modernes. Mais je trouve que la personne humaine est plus importante. La vie est de plus en plus chère, l’enseignement privé va encore augmenter les frais de scolarité, des enfants ne peuvent pas aller à l’école car les parents ne peuvent pas payer leur scolarité et, entre-temps, on bâtit des choses du plus grand luxe. Faites ce qui est nécessaire pour une capitale qui se respecte, mais ne faites pas de luxe quand les citoyens croupissent dans la misère.
Encore une autre présidence. Pourquoi ? Je suis allé voir une famille à cinq kilomètres de là et on m’a dit : “Mon père, cela n’arrive pas plus de deux ou trois fois par mois, mais parfois nous et nos trois enfants nous allons nous coucher sans avoir mangé de toute la journée.” Ou cette autre femme, à qui je demande des nouvelles de la santé de son enfant, qui me répond : “Aline est décédée il y a trois jours, après un accès de paludisme ; je n’avais pas d’argent pour payer les médicaments.” J’ai demandé à voir l’ordonnance : 2 250 francs CFA [3,5 euros]. Morte par manque de 2 250 francs CFA. Ce ne sont pas des exceptions : il y a des centaines de cas par jour. Mon cœur se serre quand je vois ces beaux bâtiments ou cette nouvelle présidence.

* La ville natale du président.

F. Balemans.
Le Pays



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Titre : Ouagadougou, une capitale au luxe obscène
Posté le : 12 Sep '06 - 11:56
Catégorie : Général
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